conférence d’LN Le Cheviller

“Montrer l’absence, regarder la disparition” , un important projet artistique, dans le cadre duquel nous rencontrons l’artiste plasticienne LN Le Cheviller, ce mardi 27 septembre.

Sont présents 2 groupes de 1ères spé arts plastiques et un groupe de 1ère spé HIDA, ainsi que les étudiants de BTSCOM.

 L’artiste évoque sa formation : passage notamment par l’école Estienne, Paris, un des plus fameux établissements lié à l’enseignement des métiers des arts appliqués, spécialisé entre autre dans le Livre (illustration, gravure, impression, édition, mise en page et rapport texte/image.

A l’occasion de son diplôme de fin d’étude, elle conçoit « Volumen », une œuvre en rouleau de 2m50 par 50cm, sur l’œuvre de Marguerite Duras, qui conjugue différentes techniques d’impression. Puis vient un autre projet « Coup de lune », auquel participent une douzaine d’écoles d’art issus de l’Europe des 12, œuvre participative qui génère des centaines de réponses, et un livre constitué d’images mais avec une part de plus en plus importante laissée au texte, un chef d’oeuvre de fin de cycle.

En 1990, l’Europe ne ressemble pas à ce que l’on en connaît de nos jours. Les frontières existent encore ; il n’y a pas de monnaie commune, pas de réseaux sociaux, pas d’internet . Les étudiants en école d’art s’organise et survive souvent dans des squats et des collectifs.

peinture de Joan Mitchell

Les influences d’LN s’échelonnent de Vincent Van Gogh (impressionnisme) à Joan Mitchell (expressionniste abstrait) en passant par Egon Schiele, Jean Michel Basquiat ou Cy Twombly (expressionnisme abstrait) Tous recherchent un langage nouveau dans la peinture.

Jean Michel Basquiat, Charles Darwin, 1983

Cy Twombly, Green Paintings

Par ailleurs engagement et politisation prennent une place importante dès ses début dans son travail. Dans les années 1980, la gauche prend le pouvoir en France. De nombreux festivals et évènements sont créés, tels la Fête de la musique ou les Journées du Patrimoine. LN écoute régulièrement les informations, se nourrit d’actualités. Les conflits l’intéressent, la sortie également de films sur la Shoah, le génocide des juifs en Europe.

Suite à ses études et à son début de carrière parisienne, elle arrive en Charente dans les années 1990, achète un lieu, avec une forêt, un jardin, et se lance dans la permaculture.

Gilles Clément, philosophe jardinier l’inspire également beaucoup. (Après une formation comme ingénieur horticole et comme paysagiste il s’installe lui-même à Crozant, dans la Creuse, en 1977. Il a consacré en 1991 un livre, La Vallée, à son jardin-maison, caché au fond d’un vallon.) Il est l’auteur de plusieurs concepts qui ont marqué les acteurs du paysage de la fin du XXe siècle ou le début de ce XXIe siècle, dont notamment :

– le « jardin en mouvement » « faire le plus possible avec, le moins possible contre » ;

– le « jardin planétaire » ; nous vivons sur une planète qui est ou peut être une sorte de jardin sans mur mais néanmoins fini : l’enclos planétaire, qui n’est autre que la biosphère, dans un monde spatialement et volumétriquement fini et limité, occupé par des jardiniers plus ou moins bons et responsables (l’humanité) ;

– le « Tiers paysage ».

Ces concepts découlent de l’observation qu’un paysage naturel n’est jamais figé, que les espèces et les gènes doivent circuler.

Elle envisage son activité artistique sous forme d’actions culturelles. L’art est à partager. Dans cette dynamique, il s’agit d’aménager des espaces de création et de convivialité, créer des expositions ouvertes sans sélection dogmatique, des résidences d’artistes, sur le site retenu, le Hameau de La Brousse, à proximité de Sers, non loin d’Angoulême. Elle initie avec de nombreux artistes venus s’installer sur ce lieu, ou de passage, un petit festival, « ZOU », au système plutôt anarchiste, sans argent, avec les moyens du bord, propice à de belles rencontres.

Sa conception de la création s’organise en cercles concentriques : un travail intime, plutôt quotidien, 2 une forme de production de type traditionnel sous forme de peinture, 3 une activité de l’ordre du public, en pensant le lien avec le publique.

– Son travail quotidien met en évidence la nécessité du jeu. De 2002 à 2010, elle décide de façonner une image par jour. Le temps qui passe devient matériau.

Robert Desnos « J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.[…]  J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton ombre qu’il ne me reste plus peut être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie. »

– La peinture, qui parfois lui semble fastidieuse, la guide vers le monotype. Le tirage unique est séduisant. Ainsi vont naître des séries, telle « A la surface de la mer », pour évoquer les migrations, la pleine mer, le bateau plat, au ras de l’eau. Toujours se pose Que veut-on développer ? Dans quelle direction cheminer ? Dès ses tous débuts, c’est le lâcher prise du mouvement, le travail corporel du geste, un travail physique, qui la mène vers l’abstraction, telle la série « Vents ».

– du cercle politique / publique, elle questionne l’image du monde à travers d’autres techniques de monotypes, tels des carbones ou le tracé s’effectue indirectement sur l’envers de la feuille. Elle en tire des figures issues d’atlas, de portraits des peuples du monde, enfants, adolescents, photos prises à l’entrée des camps de concentration nazis, archives de Khmers rouges (autre système totalitaire), extirpées de la prison S21 entre 1975 et 1979. Des installations les présentent sur de grands formats au fragile papier de soie où ils côtoient des pochoirs, pays imaginaires, dessins et symboles cartographiques pour évoquer réseaux et migrations.

Enfin se jouant des possibles du recyclage elle édifie des cabanes, en cageots ou en livres. Le matériau contenants pour abri.

Dans le cadre de notre projet artistique de l’année, elle nous présente l’oeuvre qui occupe la majeure partie de son temps ses dernières années. : 30000 représentations dessinées de cailloux en hommage pour le consul général du Portugal, Aristides de Sousa Mendes à Bordeaux, en 1940. Elle reprend en ceci une coutume juive : placer une pierre sur un monument pour indiquer que la tombe a été visitée et que le défunt a été respecté. Laisser une pierre en souvenir est davantage perçu comme un moyen de perpétuer cette tradition de commémoration.

Le 3 septembre 1939 voit la France et le Royaume-Uni déclarer la guerre à l’Allemagne nazie. La « Drôle de guerre » s’achèvera le 10 mai avec la contre offensive allemande. Une guerre éclair qui s’ensuit jusqu’au 10 juin 1940, avec la victoire allemande. De nombreuses populations trouvent refuge en France et entament un exode vers le Sud Ouest pour gagner par la suite l’Espagne de Franco et le Portugal de Salazar.

A cette période, Bordeaux voit affluer un million de personnes dans ses rues. Les places publiques telles la Place des Quinconces reçoivent des masses de réfugiés. En poste à Bordeaux, lors de la débâcle française, Sousa Mendes refuse de suivre les ordres du gouvernement portugais et délivre sans distinction plusieurs milliers de visas aux personnes menacées souhaitant fuir la France.

Il sera déclaré « Juste parmis les nations » (voir l’expo actuellement à la médiathèque du Lycée) en 1966, puis réhabilité par la République portugaise le 15 novembre 1986. Entre temps, il perd tous ses biens, son poste, sa famille et s’éteint dans la misère et l’oubli.

Après une cinquantaine d’ateliers, le projet d’LN est visible sur instagram et s’intéresse à tous ceux « qui sauve ». Dans la tradition du Talmud comme dans celle du Coran, « Sauver une vie, c’est sauver l’humanité toute entière. » Lors du dessin d’un caillou, elle engage le participant à dédier l’image à quelqu’un qui aide d’autres personnes, gratuitement, par humanité. La collecte s’achèvera le 19 octobre prochain, à Bordeaux, 1an après son entrée au Panthéon du Portugal.

Aude Renault

photos Anne Amsallem