Au XXe siècle, l’avènement de la modernité et l’art contemporain (et plus particulièrement l’OEuvre d’Auguste Rodin) remettent en jeu le socle dans le champ de la sculpture.
En vue de questionner la représentation et la présentation, du corps et du socle, les élèves de terminale de spécialité ont étudié plastiquement la relation corps / objet.
Occasion d’aborder le chemin de la production artistique, processus à l’oeuvre dans l’oeuvre, de sa phase de recherche à sa diffusion / réception, liée à son accompagnement critique, en passant par sa phase de réalisation, nous avons bénéficié des éclairages précieux de Mathias Le Royer, artiste sculpteur dans le contexte de l’Ecole d’art du GrandAngoulême.
Suite à des recherches graphiques hétéroclites se jouant des possibilités infinies du dessin, les élèves purent passer, grâce à la pratique ‘à bras le corps’, à la prise de décision. Ainsi, ils ont défini par équipe de 2 à 3 personnes les modalités de leur collaboration et co création. Qu’est-ce qui porte ? comment cela porte ?
Sachant que
dans la création contemporaine,
le socle porte le corps ;
le corps porte le socle ;
le corps porte le corps ;
le corps porte l’objet.
workshop :
Chaque élève reçoit 20 à 40 kg d’argile.
A partir des projets esquissés au Lycée, une phase de maquette en terre sous forme de « jeté » rapide permet l’appréhension de l’aspect technique et du « comment ça tient ? », première prise de contact avec la matérialité du projet. L’élaboration de la forme , le modelage même.
S’ensuit des jeux d’échelle tout en force :
s’agit-il d’augmenter ou réduire ? Quel rapport de taille entre corps et objet(s) ? Quel fragment, détail du corps, représenter ? Une partie ou le tout ?
A l’agrandissement, les expériences s’enchaînent :
les différents états de l’argile, leur différents rendus.
La terre a séchée en grande partie. Possibilité d’affiner, de préciser la forme. Possibilité également d’assembler différentes formes entre elles. Collage à la barbotine. Façonner la texture de surface.
Les projets s’édifient, littéralement sur 4 journée réparties sur deux semaines de travail intensif.
Une sculpture d’argile crue de 60 à 120 kg ne peut se conserver ainsi. La dernière phase d’atelier se concentre sur Comment documenter au mieux le travail sculptural ? Comment le présenter au mieux et enfin comment définir la nature artistique du projet de chaque élève redevenu alors singulier ?
Photographies en studio, recherches de cadrages, d’éclairages, parachèvent de splendides réalisations. Des sculptures qui questionnent le porté dans une production qui fait œuvre.
Noémie, Anastasia et Gabriel
La Naissance d’un cube
90cm x 80cm x 60cm
argile crue
« Jouer avec le rôle du porté / porteur avec un objet. Nous utilisons des fragments de corps, ainsi que Rodin. Chez Willy Verginer, Acqua Alta, échelle 1, la sculpture représente un personnage qui est encré dans l’objet, le corps fait partie de l’objet. C’est une chose que l’on retrouve dans notre travail. Nous exploitons un côté ludique de la sculpture en l’installant par terre grâce au vide.
La sculpture en terre crue ne pouvait être conservée, nous avons donc réalisé une série de prises de vue. En posant la réalisation au sol, nous avons jouer avec la relation corps / sculpture. Cela donne un autre regard au spectateur. »
Anastasia
« En ayant étudié la sculpture chez Rodin, il fallait à travers un atelier de plusieurs jours produire une sculpture questionnant « qui porte quoi ? Qu ‘est-ce qui porte ? » Suite à un long processus(en passant par le croquis et l’étude du ‘porté’), voici notre projet en argile. Nous avons trouvé intéressant de présenter la sculpture au sol. Pour la fondre dans la « masse » et pour changer des habitudes du socle. Dans notre sculpture, les pieds deviennent socle. Nous interrogeons la relation objet / corps. Le corps du personnages représenter naît du cube (vide), tel un cadre sur le dessin de projet. Le cadre étant trop fragile, nous avons fait un cube. En sortant de son « cadre », la figure fait apparaître son vide intérieur.
Je compare notre réalisation à une photographie de Laura Williams, Invisible. Elle place un miroir devant le buste d’une femme qui enlace ce miroir. Et étant à l’extérieur, le miroir reflète la nature qui l’entoure, ce qui crée un vide au niveau du buste de la figure. Dans notre sculpture, un vide réel est présent pour l’intégralité du corps de notre personnage. Seuls les pieds, une main, un bras, le front, sont apparents, comme si le corps était caché derrière un cube qu’il portait.
Je pense aussi à la Pensée ou Auguste Rodin fait apparaître la tête de Camille Claudel, d’un cube plein, cette fois-ci. »
Noémie
sans titre
1m15 x 80cm x 62 cm, 80 kg
« A l’atelier de l’école d’art du GrandAngoulême, nous avons d’abord créé un petit format d’une partie du corps. Notre forme principale, la main a été réalisée à très grande échelle. Nous avons ensuite rajouté de fausses planches de bois, en argile, afin de questionner le « qu’est-ce qui porte ? » La main, réaliste, avec les doigts repliés afin de faire tenir les planches d’argile qui semblent la supporter. Chaque détail de la main est représenté : creux de la paume, ongle, bosse des os des phalanges, par souci de réalisme. Sauf que dans notre projet, nous pouvons voir qu’il ya une grande différence d’échelle entre la main monumentale et les planches de bois. Elles sont , de base, beaucoup plus grandes que la main mais deviennent minuscules en tenant entre les doigts. Dans la sculpture tous les éléments font la même taille, sans conservation des proportions réelles. Ce qui donne certainement un aspect surréaliste que l’on retrouve dans l’installation in situ. »
Lilou
« En regardant notre sculpture, je pense à la main d’Auguste Rodin tenant un torse de femme, moulé par Amédée Bertault photographié par un anonyme(Paris, Musée Rodin). Nous la présentons sur fond noir et sur un socle, éclairée par la lumière et tenant deux planches entre ses doigts, vue de face. Il s’agit d’une main d’homme, hors échelle humaine, elle est en équilibre, les doigts un peu refermés, tenant des planches ou tenue par ces mêmes planches : indécision qui la présente comme œuvre d’art. »
Lucie
Puzzle
performance
5 minutes
8 participants, argile
« La situation proposée consistait à réaliser une sculpture en questionnant le rapport entre l’objet et le corps à travers le porté. Plusieurs contraintes : la sculpture devait être à l’échelle 1 au minimum, ne devait être qu’un fragment de corps, en argile, pas cuite ; de plus il fallait travailler en groupe de 2 ou 3. Cela nous a permis de nous pencher sur la création, la mutation d’un projet artistique qui tend à devenir une œuvre d’art. On a suivi les étapes de formation d’un projet comme les sculpteurs traditionnels ( Rodin). En équipe, il a fallu nous confronter à la réalisation à deux d’une sculpture, au compromis qu’il faut faire ou tout simplement à l’adaptation avec l’autre, à la répartition des tâches, aux potentiels désaccords, à montrer et argumenter son idée …
Shémas, croquis, positions, plus ou moins compliquées, différents outils graphiques, notre corps tenant des objets, de plus en plus volumineux, de manière non conventionnelle : il fallait en tirer un projet. Nous, on a basé notre travail sur une photo prise lors des premiers exercices. Nous avons reproduit jambes, fesses et tabouret qui tient calé, à l’horizontal, au niveau des talons. Mais un accident est arrivé lors de la réalisation : le tabouret s’est cassé ! De cette manière le tabouret en argile et la sculpture des jambes furent séparés. On a fait en sorte que ce soit deux sculptures différentes.
Du tabouret ne restaient que des morceaux.
Ce projet est donc une performance proposant une reconstitution de la sculpture. Il faut être 8 personnes. Chacun tient deux fragments au niveau de leurs extrêmités. Le tabouret est reconstitué à l’envers. Les performeurs sont placés autour de l’objet mais obstruent la vision du spectateur. Seul moyen de voir la sculpture : soit regarder du haut, soit s’approcher et regarder entre les corps qui portent. Puzzle, car on reconstruit quelque chose de défait. Une situation qui rappelle le métier d’archéologue qui reconstitue des antiquités. La notion d’antiquité est très présente ici.
C’est une sorte d’allégorie car la sculpture n’est pas parfaitement reconstituée, comme le passé n’est jamais complètement découvert et il ne le sera jamais, de plus on le cache. L’image du tabouret est aussi intéressante car le tabouret perd encore plus sa fonction, c’est à dire, tenir debout et attendre que quelqu’un s’installe dessus.
Ce cache cache entre le passé et nous, entre la sculpture et le spectateur est renforcé par l’endroit où la performance doit être faite, c’est à dire au sol. Ainsi les performeurs sont accroupis autour de la sculpture, en suspend. Elle n’est pas mise en valeur, mais c’est tout de même un rassemblement voyant. »
Loli